Les voix du Silence, au Tampon, site de Bel-Air
Le mercredi 26 mars 2025, le site de la vieille sucrerie de Bel-Air, au Tampon, quartier Terrain Fleury, a connu une animation nouvelle ; la troupe de comédiens de la Compagnie Véli (ce nom est celui de l’étoile du matin, en langue indienne), a déambulé pendant une heure, le long d’un circuit matérialisé par cinq des panneaux explicatifs sur l’histoire du lieu, placés par la commune du Tampon. L’inscription de cette manifestation à caractère culturel, et historique, dans le cadre des Nocturnes de l’Histoire, est une première pour La Réunion.

Cette manifestation est organisée par quatre sociétés d’historiens de l’enseignement supérieur et de la recherche (SoPHAU, SHMESP, AHMUF, AHCESR). Le thème choisi pour rappeler à la mémoire quelques vies de travailleurs, et/ou de travailleuses, emprunte son titre à un ouvrage de Hubert Gerbeau, Les esclaves noirs : pour une histoire du silence, Paris, Balland, 1970, 216 pages. L’expression “voix du silence” fut utilisée notamment par André Malraux (à propos d’œuvres d’art, 1951) et surtout par Aimé Césaire, dans Cahier d’un retour au pays natal, 1939). Ces voix, pour le Tampon, dont l’année 2025 marque le Centenaire de la naissance de la commune, ce sont celles des travailleurs, laboureurs, paysans, engagés, anciens esclaves, ou domestiques, au service de la puissante famille Le Coat de K/véguen, des propriétaires terriens du sud de l’île Bourbon/La Réunion.
Le thème de la manifestation prend appui sur la date du retour à La Réunion du jeune héritier Le Coat de K/véguen, en 1661. Denis-André est devenu l’héritier de la douzaine d’établissements de sucrerie – un véritable empire sucrier -, achetés ou construits par son père, feu Gabriel Le Coat de K/véguen. Cet héritage, immense, de richesses immobilisées pour la plupart, est partagé avec sa soeur, Emma, laquelle vient d’épouser l’un des chambellans de Napoléon III, Charles Napoléon Mortier, marquis de Trévise (1835-1892).

La Compagnie Véli (étoile du matin, en langue indienne) a imaginé la visite du domaine de Bel-Air, par le marquis de Trévise, arrivé depuis peu dans l’île, sous la conduite de son beau-frère, Denis-André. De cette manière, la Compagnie Véli redonne souffle à Jamali, gardien du camp de Bel-Air, vers 1661. Puis, on s’achemine vers l’usine, où Alidor Amphytrion, “chauffeur” des fours de la sucrerie, témoigne de son parcours. Chemin faisant, le régisseur de l’établissement, et comptable à l’occasion, Grégoire Rétout, organise la paie des employés engagés (les nouveaux arrivants indiens ou malgaches, comme Jamali, ou les anciens esclaves affranchis, comme Victorine, devenue domestique. Victorine fut aussi la nénène d’Emma : ce personnage complexe, plutôt familier avec la riche famille des propriétaires, n’en est pas moins un symbole vivant d’abnégation et de servitude familiale, puisque sa fille, et ses petites-filles travaillent aussi pour la famille, comme le fit sa mère, l’aïeule esclave Louise, dont l’histoire n’a retenu que le prénom. La voix de Louise reste silencieuse.




Au bout d’une heure de parcours, la compagnie déclame à tour de rôle, et parfois ensemble, des extraits du très beau poème de Boris Gamaleya, Vali pour une reine morte. Le public est conquis, surpris de découvrir, ou redécouvrir, une histoire complexe, dont les douleurs et les évolutions sont évoquées dans leur quotidien.
La soirée s’est poursuivie à l’EHPAD Villas Terrain Fleury, non loin de là, où un apéritif avec les produits du pays attendait les participants, juste avant la projection du film Femmes, mémoire d’une île, réalisé par Lionel Lauret, écrit et conçu par les Ami-es de l’Université. Beau moment de partage et de convivialité, avec les résidents de l’EHPAD, parfois accompagnés de leur famille, et les participants venus de plusieurs coins de l’île.
Au sein de l’EHPAD Villas Terrain Fleury, une salle muséale abrite les panneaux d’exposition réalisés par l’association AFAC974, et les mannequins vêtus de costumes de travailleurs confectionnés par Objet Témoin ASBL, projet ForgetMeNot/OubliPaMwin. Une partie de ces vêtements, artefacts en forme de reconstitution à caractère archéologique de gestes et d’objets de confection, ont été portés par les comédiens ( personnages de Grégoire Rétout, Victorine, Alidor Amphytrion,; objets : lance et fusil de Jamali).


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Dominique Vandanjon-Herault (6 avril 2025). Les voix du Silence, au Tampon, site de Bel-Air. Une sucrerie à Bel Air. Consulté le 21 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13owf