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Les timbres fiscaux de ré-engagement

Cet article doit beaucoup à Monsieur Cyril ARBAUD, directeur de l’EHPAD Villas Terrain Fleury, au Tampon (Établissement hospitalier pour personnes âgées et dépendantes, Fondation Favron) : c’est lui qui nous a remis ces quelques timbres fiscaux, attestant du paiement des taxes relatives à l’introduction ou au réengagement des travailleurs venus à La Réunion dans la deuxième moitié du XIXe siècle. La petite pochette de timbres était assortie d’une notice explicative, Notes sur le timbre fiscal d’engagement et de rengagement à l’Ile de la Réunion (1872-1880), dont nous n’avons pas retrouvé la publication originale – une revue intitulée Le timbre fiscal, semble-t-il -. Une bonne partie des informations relatives à ces timbres fiscaux proviennent de cette notice, complétées par la lecture d’ouvrages listés dans la courte bibliographie en fin d’article.

Que Monsieur Arbaud soit ici profondément remercié.

L’acquittement de droits sur l’introduction des travailleurs engagés immigrants

Dès l’introduction massive de travailleurs engagés sur l’île, comme dans les autres colonies françaises d’outre-mer, en particulier les Antilles, l’État se réserve le droit de prélever une taxe, dite taxe d’engagement. Elle est payée par les propriétaires qui ont réclamé des forces nouvelles de travail, après l’abolition de l’esclavage de 1848. Son coût est de 5 F.

Elle frappe donc les contrats passés entre les travailleurs immigrants venus dans la colonie y louer momentanément leur force de travail, et les propriétaires désireux de faire cultiver leurs habitations (champs de cannes, de maïs, de café), de travailler dans les sucreries, ou autres établissements industriels, ou de recruter à bon compte des domestiques au service de leur maisonnée, ou de leur entreprise. A noter que parmi ces propriétaires se trouvent parfois d’anciens engagés, ou d’anciens immigrants, comme les chinois ou les indiens par exemple, qui recrutent à leur tour d’autres engagés dans leurs commerces de tissus, ou leurs boutiques.

Bien que l’administration locale ait depuis longtemps créé cette taxe, ce n’est que depuis 1872 qu’elle a songé à l’emploi d’un timbre fiscal spécial, apposé sur les livrets d’engagement, après l’acquittement des droits relatifs aux actes d’enregistrement.

Avant l’adoption du timbre fiscal d’engagement, la perception de la taxe d’engagement, taxe qui n’est en fin de compte qu’un droit de timbre, était effectuée par les receveurs de l’enregistrement, au moyen d’un visa pour timbre, au moment de la présentation du contrat. Celui-ci est supervisé en mairie de chaque commune, et c’est donc l’édile qui contrôle, en premier ressort, les allées et venues des travailleurs engagés, soit qu’ils se déplacent d’une commune à l’autre, avec autorisation signée de leur engagiste, soit qu’ils changent de patron en cours d’engagement.

Et. Gillonet, Notes sur le timbre fiscal d’engagement ou de rengagement à l’Ile de la Réunion (1872 à 1880)
Décompte réalisé par Émile Hugot, sucrier à Saint-Louis, sur le nombre d’engagés introduits dans la colonie entre 1888 et 1904. (Fonds Émile Hugot, Bibliothèque du Musée Stella Matutina, à Saint-Leu). Le document présenté ici intéresse par le souci de quantifier le coût de l’introduction des travailleurs du point de vue de la colonie.

Une fiscalité ajustée sous la IIIe République

En 1872, le gouverneur Louis Hippolyte de Lormel (1809-1888), installé dans l’île depuis le 27 septembre 1869, prononce un arrêté pour régler la question de la taxe d’engagement.

1869-1875

Ce gouverneur initie la catégorie des gouverneurs civils. C’est tout nouveau : jusqu’à présent, ce personnel d’élite était recruté parmi les officiers de marine. De Lormel vient de Guadeloupe où il avait exercé les fonctions de Directeur de l’Intérieur, puis celle de gouverneur. Dans l’île, il aura la délicate mission de proclamer le retour de la République.

La caricature ci-contre est due au crayon acerbe de Frédéric Maydell Legras (1846-1912), 1875, Iconothèque historique de l’océan Indien

Financer le retour des engagés dans leur pays d’origine

Lors des négociations de 1862 avec l’Angleterre pour l’introduction de travailleurs engagés depuis les colonies anglaises en Inde, il était stipulé que les engagistes procéderaient aux rapatriements, une fois les contrats expiré, à leurs frais. Nombre de ces engagistes, par calcul ou par réel besoin de main d’œuvre, ont prorogé les premiers contrats de un an, de deux ans, voire de cinq ans. Officiellement, les premiers retours devaient se produire à partir de 1867 ; pour l’engagé, le retour n’est guère aisé : il faut attendre qu’un navire soit disponible, et qu’un nombre significatif de personnes dans le même cas soit réuni. Il faut aussi l’accord du gouverneur de l’île, garant des clauses de la convention signée en 1862 avec l’Angleterre pour l’introduction des travailleurs.

De fait, il ne reste que peu de traces aux Archives départementales des convois de retour des engagés dans leur pays d’origine. Si bien qu’il est très difficile, au total, de connaître exactement le nombre de rapatriements. Jean-Régis Ramsamy, Docteur en histoire et chercheur à l’île de La Réunion, dans sa thèse Les travailleurs indiens sous contrat à La Réunion (1848–1948), entre le retour programmé et le début des intégrations, soutenue en 2012, avance le chiffre de 23 683 rapatriements, pour 62 683 entrées entre 1851 et 1882, date de la fin de la convention franco-anglaise relative à la question des engagés. De notre côté, à la lecture du bref récit mémoriel de Mortier de Trévise, rédigé en 1891, on sait que Bouchiana, travailleur engagé indien arrivé très jeune chez Le Coat de K/véguen dès le début des années 1860, a renouvelé son contrat d’engagement plusieurs fois, avant de rentrer définitivement en Inde (mais à quelle date exactement ? impossible de la savoir en l’état actuel de nos connaissances).

Maison dite Rontaunay (du nom de son constructeur, un riche armateur et homme d’affaires, 1793-1863), qui abrita le Conseil du Département de la Réunion pendant toute la deuxième moitié du XIXe siècle. Origine du cliché inconnue.

En août 1877, le Conseil Général de La Réunion prend la décision que les frais de rapatriement des engagés seront désormais à la charge du budget local, augmentant au passage de 50%, et à cet effet, la valeur de la taxe du timbre fiscal. Le Gouverneur Pierre Aristide Faron (1822-1893), qui vient de succéder à De Lormel, entérine la proposition. Il est vrai que le Conseil général, composé de propriétaires fonciers, d’usiniers, et de magistrats, veille en priorité aux intérêts de la bourgeoisie locale, engagée depuis la crise économique de 1863, dans une lutte de plus en plus amère contre le Crédit Foncier Colonial, régi depuis son siège parisien, ayant acquis, à titre de dédommagements bon nombre des sucreries et des habitations de propriétaires ruinés. Les 24 membres du Conseil, récemment renouvelé (le mandat étant de 6 ans, l’année 1877 a vu l’installation de plusieurs nouveaux membres, dont le renouvellement se fait par tiers). Un autre élément de contexte abouti à cette décision: en effet, en juin 1876 avait démarré une enquête diligentée par Paris et Londres, sur les conditions de travail des indiens dans l’île. Le rapport bilingue final, dit rapport Miot-Goldsmid, sans accabler fondamentalement les patrons des engagés indiens, constate néanmoins un grand nombre d’irrégularités, d’entorses à la convention de 1862, et des maltraitances. Il est clair que pour plus de 40 000 indiens engagés alors présents sur l’île, la question du retour est cruciale pour un bon nombre d’entre eux. Dès lors, et pour ne pas mécontenter davantage l’Angleterre, le Gouverneur, sous la pression du Ministère de la Marine et des Colonies, incite à une régularisation des possibilités de retour. Faciliter cette politique de retour au pays devient une nécessité pour les décideurs locaux.

Timbres fiscaux, timbres, et collectionneurs

A sa manière, Monsieur Cyril Arbaud est un collectionneur, mais sait-il que, chez les Le Coat de K/véguen, le fils de Gabriel, Denis-André, était en son temps un “timbrophile”, comme on disait à l’époque, averti ? Il faisait partie d’un groupe d’aristocrates amateurs de nouveautés, et s’est adonné à ce passe-temps à l’image de personnages autrement célèbres.

Image extraite de l’ouvrage de Georges Brunel (voir bibliographie)

Dès les premières émissions de timbres, et plus particulièrement dès 1849, de hauts personnages comme le tsar de Russie, ou le Prince de Galles, collent dans des albums dédiés les premiers timbres émis en Europe. Le baron Arthur de Rothschild, Philippe de Ferrari -fils de la Duchesse de Galliera -, le peintre Caillebotte, entre autres collectionneurs rejoignent ce club assez fermé au départ. Une bourse aux timbres se tient, à la fin du siècle, derrière le palais de l’Elysée, Avenue Marigny, Champs Elysées, les dimanche, jeudi et jours fériés. Très tôt, il est apparu que l’acquisition de timbres, en particulier dès leur première émission, pouvait être un bon placement, en plus d’un passe-temps mondain. Certains collectionnent aussi les timbres fiscaux qui apparaissent en France sous le Second Empire. Leur introduction, dès 1860, répond à un besoin croissant de simplifier et de sécuriser la perception des droits de timbre, autrement dit de la taxe appliquée sur divers actes administratifs et juridiques.

Pour les colonies, les timbres apparaissent sous le Second Empire, vers 1860, avec un timbre unique à l’effigie de l’aigle impériale, pour la correspondance et les papiers d’affaires. L’île de La Réunion fait exception avec deux timbres émis dès 1852. L’émission de timbres varie ensuite au gré des augmentations de tarif, et des changements politique. Ce n’est qu’en 1892 que chaque colonie eut droit à son timbre particulier : le même modèle allégorique y était imprimé – La Navigation et le Commerce faisant flotter sur les mers les couleurs françaises –, et un cadre portant le nom de l’une des 18 colonies françaises y était apposé en dessous.

Pour les bureaux de poste, c’est une tout autre histoire …

Brève bibliographie

  • Georges Brunel, Le timbre-poste français, étude historique et anecdotique de la poste et du timbre en France et dans les colonies françaises, Paris, Delagrave, 1896, p. 160 et sq. (disponible en ligne ici )
  • Sudel Fuma, Un exemple d’impérialisme économique dans une colonie française, L”île de La Réunion et la Société du crédit foncier colonial, L’Harmattan, Université de La Réunion, 2001, 160 pages.
  • David Gagneur, Saint-Denis : siège du Conseil général, (haut) lieu du pouvoir local 1870-1914. Revue historique de l’océan Indien, 2014, Saint-Denis : Histoire politique et culturelle d’une capitale depuis le XVIIIe siècle, 11, pp.34-42.
  • Raoul Lucas, Mario Serviable, Commandants et gouverneurs de l’île de La Réunion, Océan Éditions, 2008
  • Michèle Marimoutou, L’engagisme indien à La Réunion, Portail esclavage du Musée historique de Villèle, Société de plantation, Histoire et mémoires de l’esclavage à La Réunion, consulté le 31 mars 2025.
  • Jean-Régis Ramsamy, Les travailleurs indiens sous contrat à La Réunion (1848-1948), entre le retour programmé et le début des intégrations, Thèse de doctorat, Université de La Réunion, 2012 (en ligne : https://theses.hal.science/tel-01124001)
  • Edith Wong-Hee-Kam, Le commerce chinois à La Réunion, histoire des boutiques, Orphie, 2025, 170 pages.

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Dominique Vandanjon-Herault (16 avril 2025). Les timbres fiscaux de ré-engagement. Une sucrerie à Bel Air. Consulté le 21 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13rev


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